Depuis 1991, les recherches paléontologiques franco-namibiennes sont menées au sein d’un même programme, la Namibia Palaeontology Expedition (NPE), dont les activités de terrain se focalisent dans trois régions de la Namibie : Kaokoland, Monts Otavi & Sperrgebiet.

Mots clés : Eolianites, Karst, Tufs de cascade, paléobiodiversité(s), paléoenvironnement(s), bio-chronologie, paléogéographie, Eocène, Néogène, Miocène, Plio-Pléistocène

 

Les recherches en Namibie se font en collaboration avec le Geological Survey of Namibia (GSN) à Windhoek, où sont déposés l’ensemble des échantillons collectés, et avec l’obtention des permis adéquats délivrés par le National Heritage Council of Namibia (NHC) et l’autorisation de la National Commission on Research, Science and Technology (NCRST). La NPE est coordonnée par Dominique Gommery, Brigitte Senut et Martin Pickford. La NPE a pour but d’étudier l’évolution de la biodiversité et des environnements continentaux au cours du Cénozoïque dans cette région de l’Afrique.

 

Kaokoland

Le Kaokoland est une vaste région aride à hyperaride du nord-ouest de la Namibie, dont la principale catégorie de végétation est, à l'est, la forêt de mopanes et, à l'ouest, le désert de dunes et de rochers. Au nord-est, elle est montagneuse, culminant à des altitudes de 2000 mètres et à l'ouest, elle s'étend jusqu'à l'océan Atlantique. Dans les hautes terres du Kaokoland il existe d'abondants dépôts de travertins (tufs) en cascade.

Les recherches menées entre 2016 et 2019 par la NPE dans la région de Sesfontein ont permis la découverte de travertins contenant une paléofaune et une paléoflore exceptionnellement riches dont les datations s’échelonnent du Pliocène à l’actuel. Plusieurs dépôts de travertins ont livré des outils lithiques, y compris des rejets de taille indiquant que la fabrication de ces outils a eu lieu dans des abris et des cavités existants dans ces formations géologiques.

En 2021, des travertins ont été identifiés plus au nord dans la région d'Opuwo. L'un des travertins à Ozombindi, contient une immense brèche osseuse comprenant des milliers d'os de grands mammifères (équidés, bovidés, hyaenidés, rhinocérotidés) mais jusqu'à présent, aucune preuve d'activité humaine. La brèche est interprétée comme représentant un piège naturel qui s'est développé dans le travertin, dans lequel les animaux sont tombés et n'ont pu en sortir.

Il est clair, à l'exception d'Okovanatje, que les conditions climatiques actuelles de la région ne sont pas propices au dépôt de travertin. Au cours du Pliocène et du Pléistocène, en revanche, d'énormes dépôts de travertins se sont accumulés en de nombreux endroits sur les hautes terres du Kaokoland. Ces travertins prouvent que la région a connu des phases de conditions climatiques plus humides et plus fraîches qu'aujourd'hui. L'étude détaillée des paléofaunes préservées dans les travertins du Kaokoland peut fournir des informations sur la chronologie de la formation de ces dépôts, et donc des preuves des changements climatiques au cours du Plio-Pléistocène. La présence d’outils lithiques dans certains de ces dépôts suggère un intérêt de ces travertins pour la paléoanthropologie. Il est important de noter ici que des australopithèques ont été découverts pour la première fois dans des remplissages de cavités dans des travertins de Thabaseek en Afrique du Sud. Aucun hominidé n'a encore été découvert au Kaokoland, mais le potentiel de telles découvertes est évident.

L'objectif immédiat de la NPE au Kaokoland est d'identifier et de collecter le maximum d’informations sur ces travertins. Les études permettront d’évaluer leur potentiel paléontologique, de déterminer leur âge et de rendre compte de leur importance socioculturelle. Plusieurs des travertins, comme Ozombindi et Otjikondovirongo, constitueraient d’excellentes destinations touristiques pouvant être mises en valeur par les communautés locales.

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Vue du paysage autour du site de travertin (tufs de cascade) d’Ozombindi (au centre) dans le Kaokoland.

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Prospection des travertins du site d’Ozombindi dans le Kaokoland.

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Détail de l’amas osseux dans les travertins du site d’Ozombindi dans le Kaokoland.

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Rangée dentaire supérieur d’un équidé dans les travertins du site d’Ozombindi dans le Kaokoland.

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Autre accumulation de travertins dans la région d’Ozombindi dans le Kaokoland.

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Empreintes de végétaux dans une autre accumulation de travertins dans la région d’Ozombindi dans le Kaokoland.

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Monts Otavi

Dans le Nord de la Namibie, il existe un massif dolomitique, les Monts Otavi, où il existe des remplissages karstiques qui se sont mis en place au moins à partir du Miocène moyen. Les prospections menées par B. Senut et M. Pickford entre 1991 et 2001 dans cette région ont conduit à la découverte de nombreux restes de vertèbres dont ceux d’un hominoïde, Otavipithecus namibiensis, dans des niveaux du Miocène moyen. Plus récemment, l’étude de restes découverts dans les années à Berg Aukas, confirment la présence d’un second hominoïde, Kenyapithecus. A cette époque, les hominoïdes sont diversifiés en Afrique orientale, mais ils le sont surtout en Eurasie. Les restes namibiens représentent les hominoïdes qui ont vécu dans la région la plus australe de l’Afrique. D’autres niveaux du Miocène supérieur et du Plio-Pléistocène ont livré de la faune dont des primates.

En 2022, les recherches dans la région des Monts Otavi ont pu se faire grâce à l’obtention d’un projet ATM du MNHN ‘Paléobiodiversité des primates du Néogène et du Quaternaire en Namibie (PalPrim Namibie)’. Les objectifs ont pour finalité d’étudier les changements de la paléobiodiversité et des environnements afin de comprendre l’évolution des primates (hominoïdes, hominidés & cercopithecidés) au cours des derniers 14 millions d’années dans le Nord de la Namibie. Des blocs de brèche fossilifère ont été collectés dans différents sites des Monts Otavi et vont être préparés au Geological Survey of Namibia. Dans l’un des locus de la mine de Kombat, des sédiments ont été prélevés, tamisés et triés permettant ainsi la découverte de restes fossilifères (bovidés, damans, rongeurs, serpents) et des outils taillés.

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Vue de paysage des Monts Otavi.

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Vue du site de Berg Aukas avec des remplissages karstiques datant du Miocène moyen au Pléistocène.

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Mandibule de l’holotype d’Otavipithecus namibiensis provenant d’un dépôt de brèche du Miocène moyen de Berg Aukas.

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Vue du site de Harasib 3a avec brèches fossilifères datant du Miocène supérieur.

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Vue d’un crassier de brèches fossilifères du site de Prospekteer Kop à Rietfontein, Monts Otavi datant du Plio-Pléistocène.

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Un bloc de brèche fossilifère du site de Rietfontein datant du Plio-Pléistocène.

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Vue du site de Kombat E900, à droite dépôt du pléistocène moyen.

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Brèche in situ avec des gastéropodes du site de Kombat E900.

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Sperrgebiet

Les niveaux fossilifères néogènes (principalement Miocène inférieur) sont prospectés depuis les années 1993 dans la zone interdite diamantifère de la Sperrgebiet en collaboration avec le Geological Survey of Namibia et la Namdeb (anciennement CDM Pty Ltd). En 2008 et 2015, nous avons identifié pour la première fois des niveaux paléogènes dans la région, ce qui représente une avancée scientifique majeure pour la paléontologie africaine. Le travertin d’Eocliff contient des millions de fossiles, surtout des micromammifères. En effet, des niveaux de cet âge n’étaient connus qu’en Egypte, Tanzanie, Kenya et dans le territoire de Cabinda en Angola.

Notre recherche concerne les paléoenvironnements du Paléogène et du Néogène, ces derniers peuvent être comparés avec ceux d’autres régions de l’Afrique et permettent donc des comparaisons interrégionales des paléoenvironnement et donc des climats. Ces faunes sont également importantes pour permettre d’établir une biostratigraphie locale. Un aspect important de ces faunes est qu’elles renferment des primates et donnent des informations sur les strepsirhiniens fossiles mais également sur les premiers Simiiformes.

Considérée par certains évolutionnistes comme un cul de sac de l’évolution, l’Afrique australe et en particulier la Namibie s’avère en fait particulièrement importantes pour comprendre les dispersions fauniques intra- et intercontinentales au cours du Cénozoïque.

Un autre aspect de nos recherches concerne la géochimie des fossiles et des sédiments qui complètent les résultats obtenus des études anatomiques des fossiles et conduisent à améliorer la précision des reconstitutions environnementales. Une autre facette des travaux consiste à relier les dépôts fossilifères à la géomorphologie de la région.

Enfin, lors d’une prospection avec la Namdeb dans le désert de Namib, nous avons identifié de nouvelles zones où affleurent des dunes fossiles dont le potentiel paléontologique est important et qui pourraient être comparées à celles du sud de la Sperrgebiet (région de la rivière Orange) et du Namib-Naukluft où nous avons effectué des recherches dans les années 1990-2000.

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Le gisement d’Eocliff consiste en un dôme de tufs d’eau douce, d’âge Bartonien-Priabonien (environ 37 Ma), qui renferme une très riche faune de petits mammifères, ainsi que des oiseaux et des reptiles et de rares grands mammifères représentés par des hyracoïdes.

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Le site d’Eocliff (37 Ma environ) a livré de nombreux restes de sengis fossiles. Six nouveaux taxa ont été reconnus : 4 brachyodontes (dents à couronne basse - D, E) à semi-hypsodontes (dents hautes avec couronne – A, B) et deux hypsélodontes (dents à croissance continue sans racines – C, F) reflétant les différences alimentaires. A : fragment de maxillaire de Promyohrax, B : maxillaire de Macroscelidea Incertae sedis, C : molaire supérieure d’Afrohyselodontus grandis, D : maxillaire de l’holotype de Namasengi mockae, E : mandibule d’Eorhynchocyon, F : museau d’Afrohypselodontus minus....

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Les gisements paléogènes de la Sperrgebiet en Namibie ont livré des centaines de restes assez exceptionnels de sengis fossiles dont la diversité est riche. Ici, sont représentés comme ces dents incisiformes denticulées de Namasengi mockeae, présentées en vue stéréo-linguale.

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À Langental, les sédiments du Miocène inférieur remplissent une vallée qui s’ouvre vers l’océan atlantique. Seul 1,5 mètre de sédiments affleure sur plusieurs hectares. Les monticules que l’on voit ici correspondent aux résidus de l’activité minière.

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Le gisement de Langental en Namibie est un des rares sites du Miocène inférieur connu en Afrique australe. Il s’agit d’un remplissage d’une vallée par des sédiments dans lesquels ont été piégés non seulement des fossiles, mais aussi des diamants d’où la restriction d’accès à ce lieu. Parmi les micromammifères, on trouve des lagomorphes, comme cette mandibule.

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Les nouvelles découvertes réalisées dans les sites du Miocène inférieur de Namibie confirment la présence de deux genres de Suidae Palaeochoerus et Nguruwe. Il s’agit ici de la mandibule de Nguruwe namibense (GSN LT 1’19a) provenant de Langental (Miocène inférieur, Namibie).

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À Elisabethfeld, les sédiments remplissent une paléo-vallée ouverte à l’Oligocène aux périodes de basse mer et qui s’est comblée lors de la transgression burdigalienne. Les dépôts d’Elisabethfeld consistent en des limons d’eau douce de couleur rouge et verte, avec des intercalations de conglomérats.

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À Elisabethfeld, gisement du Miocène inférieur de la Sperrgebiet (Namibie), les micromammifères sont souvent découverts dans des crottes de rongeurs fossilisées dans les silts rouges, comme ici ce rongeur.

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Site de Grillental présente des couches fossilifères du Miocène inférieur avec des racines d’arbres fossilisées.

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Site de Grillental présente des nids de termites polycalate, Hodotermes, qui vivent actuellement dans les savanes et steppes, mais pas dans le désert. Donc ils montrent que Grillental était plus humide au Miocène inférieur.

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À Kaukausib Fontein, les grès sont intercalés avec les niveaux de travertins. Ce sont dans les niveaux de grès que l’on trouve les restes de grands mammifères.

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Les grès pliocènes ou pléistocènes de la Kaukausib Fontein ont livré un squelette de ruminant, laissé en place en raison de la difficulté de son extraction et de sa fragilité.

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À Kaukausib Fontein, une molaire de suidé est préservée dans le grès assez grossier du Pliocène ou du Pléistocène.

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Partenaires
  • CR2P – UMR 7207 : Dominique Gommery, Brigitte Senut, Martin Pickford, Frank Sénégas, Laura Bento Da Costa

  • ISTeP – UMR 7193 : Loïc Ségalen

  • Geological Survey of Namibia (GSN) : Helke Mocke

Publications récentes / références importantes

Pickford M. (2019). Kaokoland Cascade Tufa Survey: Interim Report. Communications of the Geological Survey of Namibia, 21, 82-93.

Pickford M. & Senut B. (2010). Karst Geology and Palaeobiology of Northern Namibia. Memoir of the Geological Survey of Namibia, 21, 1-74.

Pickford, M. Mocke, H. Senut, B. Ségalen, L. & Mein, P. (2016). Fossiliferous Plio-Pleistocene Cascade Tufas of Kaokoland, Namibia. Communications of the Geological Survey of Namibia, 17, 87-114.

Dauteuil O., Picart C., Guillocheau F., Pickford M. & Senut B. (2018). Cenozoic deformation and geomorphologic evolution of the Sperrgebiet (Southern Namibia). Communications of the Geological Survey of Namibia, 18, 1-18.

Godinot M, Senut B & Pickford M (2018). Primitive Adapidae from Namibia sheds light on the early primate radiation in Africa. Communications of the Geological Survey of Namibia, 20, 140-162.

Mourer-Chauviré C., Pickford M. & Senut B. (2018). New data on stem-group Galliformes, Charadriiformes, and Psittaciformes from the middle Eocene of Namibia. Paleontología y Evolución de las Aves. Contribuciones Cientificas del Museo Argentino de Ciencias Naturales “Bernardino Rivadavia”, 7, 99-131.

Pickford M. & Senut B. (2010). Afrohyrax namibensis (Hyracoidea, Mammalia) from the Early Miocene of Elisabethfeld and Fiskus, Sperrgebiet, Namibia. Communications of the geological Survey of Namibia, 18, 93-112.

Pickford M., Senut B. & Bento da Costa L. (2018). Precision concerning the age of Hexen Kessel, Sperrgebiet, Namibia. Communications of the Geological Survey of Namibia, 19, 132-140.

Pickford M., Gommery D., Kgasi L., Vilakazi N., Senut B. & Mocke H. (2019). Southern African Tetraconodontinae: recent discoveries. Communications of the Geological Survey of Namibia, 21, 59-81

Senut B., Mocke H. & Pickford M. (2019). Stratigraphy, Palaeontology and Archaeology of Klinghardtfelder, Sperrgebiet, Namibia. Communications of the Geological Survey of Namibia, 21, 94-111.

Pickford M., Senut B. & Runds M. (2020). On the age of the artefact-bearing sediments in the valley north of Kerbehuk, Sperrgebiet, Namibia. Communications of the Geological Survey of Namibia, 22, 81-90.

Senut B. & Pickford M. (2021). Micro-cursorial mammals from the late Eocene tufas at Eocliff, Namibia. Communications of the Geological Survey of Namibia, 23, 89-159.

Bento Da Costa L. & Senut B. (2022). Skeleton of Early Miocene Bathyergoides neotertiarius (Rodentia, Mammalia) from Namibia: behavioural implications. Geodiversitas 44 (10), 291-322. https://doi.org/10.5252/geodiversitas2022v44a10

Mocke H., Pickford M., Senut B. & Gommery D. (2022). New information about African late middle Miocene to latest Miocene (13-5.5 Ma) Hominoidea; Communications of the Geological Survey of Namibia 24, 33-66.

Mocke H., Pickford M., Senut B. & Gommery D. (2022). Large mammal bone breccia in Pleistocene calc-tufa, northern Kaokoland, Kunene Region, Namibia. Communications of the Geological Survey of Namibia 25, 66-79.

Senut B., Pickford M., Gommery D., Mocke H. & Musalizi S. (2022). Dr Jorge Morales’s contribution to the French Expeditions in the Cainozoic of Africa (Kenya Uganda, Namibia). Historical Biology 34 (8), 1660-1671.https://doi.org/10.1080/08912963.2022.2032028

Publié le : 10/01/2023 11:50 - Mis à jour le : 14/02/2023 12:54