Une équipe internationale, dont une partie provenant du CR2P a fait une avancée au sujet du mode de reproduction des crustacés décapodes fossiles. C’est la première fois que nous découvrons leurs œufs, chez une espèce du Jurassique moyen (env. 165 millions d’années) provenant du gisement à préservation exceptionnelle de la Voulte-sur-Rhône (Ardèche, France) La microtomographie à rayons X a permis de reconstituer en trois-dimensions et avec une précision étonnante une femelle portant ses œufs.

Cette espèce appartient aux Polychelida, un groupe de crustacés décapodes, proches des homards, écrevisses, langoustes et cigales de mer actuelles, mais peu connu du grand public. Au Mésozoïque, les Polychelida étaient très diversifiés et vivaient dans des milieux marins très variés depuis la côte jusqu’aux milieux profonds. Aujourd’hui, ils sont confinés aux environnements profonds.

Palaeopolycheles nantosueltae, dont le nom fait référence à une déesse celte de la fécondité (Nantosuelta), nous en apprend beaucoup sur l’évolution des stratégies de reproduction au sein des crustacés décapodes. Dans la nature actuelle, deux grandes stratégies coexistent chez les crustacés décapodes : (1) les langoustes et les cigales de mer (Achelata)pondent un grand nombre d’œufs (~10 000 – 2 000 000) de petite taille (0,6 – 1,2 mm), et se développent via un long stade larvaire planctonique ; (2) les homards et les écrevisses (Astacidea), quant à eux, produisent des œufs plus gros (1,5 – 3 mm) mais en plus petite quantité (seulement ~20 – 10 000) et leur développement est plus court.

Les Polychelida se développent via un long stade larvaire planctonique, connu des spécialistes sous le nom d’eryoneicus, alors que les adultes vivent sur le fond. Notre fossile présente 459 œufs préservés de ~0.8 mm, et les espèces actuelles de Polychelida présentent plusieurs centaines d’œufs par ponte, avec des tailles comprises entre 0.5 et 0.8 mm, les Polychelida présentent donc une stratégie hybride par rapport aux Astacidea d’un côté et aux Achelata de l’autre. Ainsi, le mode de reproduction du groupe est pratiquement resté inchangé depuis le Jurassique. De plus, rien ne semble indiquer un long stade larvaire chez l’espèce fossile étudiée. 

Comment expliquer cela ? Du fait de leur mode de vie planctonique, les larves de Polychelida actuels grandissent et se nourrissent dans les eaux de surface riches en nourriture et ne sont pas en concurrence avec les adultes vivant dans des milieux plus profonds moins riches en nutriments. Cette stratégie aurait permis aux Polychelida de se maintenir dans des environnements profonds. On imagine donc que les Polychelida du Jurassique, sans doute dépourvus de stade larvaire eryoneicus, n’étaient pas soumis aux mêmes pressions environnementales. 

 

Publié le : 20/04/2020 15:20 - Mis à jour le : 20/04/2020 15:20